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Histoire de Mézidon Canon et de son canton
18 septembre 2008

Balade du Pont-au-Breton

Au temps passé que je n'envie
Ni ne regrette assurément,
Sur les bords rians où la Vie
Roule dans un vallon charmant,
Nul pont ne joignait les deux rives
De Ménil-Durand aux Noyers :
Seul sous les ondes fugitives
Un gué s'offrait aux passagers.

Sur le bord un meunier demeure,
Peu charitable aux voyageurs ;
Et pourtant on voit à toute heure
Réclamer ses soins protecteurs.
De Lisieux jusque en la Bretagne
Portant les frocs de Tordouet,
Vingt muletiers sont en campagne
Et du gué risquent le trajet.

Des cris pendant la nuit obscure
Souvent invoquant des secours,
Du meunier frappant l’âme dure,
A sa pitié cherchaient secours.
Il eût pu sauver l’existence
Des malheureux qui l’imploraient ;

Mais, privés de son assistance,
Les infortunés expiraient.

Certain jour, aux bords de la Vie
Du meunier la femme aperçut
Julien, pauvre Breton, sans vie,
Que de ses mains elle reçut. «
Procurons-lui la sépulture,
Jourdain ! » dit-elle à son mari.
Mais de Jourdain l'âme est trop dure.
Par lui tout devoir est trahi.

Du pied dans les flots il ramène
Le corps du Breton malheureux
Qu'aussitôt vers le Pont-du-Chêne
Entraîne le flot orageux.
La nuit, des côteaux descendue,
Eut bientôt de son crêpe obscur
Noirci la riante étendue
Que baigne un cristal frais et pur.

La meunière au lit se repose
Et dort d'un tranquille sommeil,
Tandis que Jourdain ne s'y pose
Que pour voir bientôt le réveil.
La paix, un calme délectable
Sont-ils faits pour l'homme endurci
De qui le cœur pour son semblable
Jamais ne s'émut adouci ?

Vers minuit, soufflant avec rage,
Rugissent les vents furieux ;

Le toit s'ébranle sous l'orage ;
Les éclairs centuplent leurs feux.
Attaquée avec violence
La porte du moulin trembla...
De son lit le meunier s'élance,
Et s'écrie : « Eh bien ! Qui va là ? »

« Qui va là? » lui répond plaintive
La voix du Breton trépassé.
C'est celui-là que de la rive
Ton pied barbare a repoussé.
Tu fus cruel, tu l'es encore;
Tu me refusas ton secours ;
A qui te réclame et t'implore
Ton oreille et Ion cœur sont sourds.

« Que t'eût demandé ma prière ?
Que faut-il au pauvre expiré ?
L'asile dernier d'une bière ;
Un peu de terre sous le pré.
Ce que tu vois n'est point un songe.
Dans l'onde où tu m'as rejeté
Il faut enfin que je te plonge :
Meurs-y sans être regretté. »

L'ombre a dit ; et sa main glaçante
Saisit le meunier chancelant,
Et vers l'onde au loin frémissante
L'entraîne et l'y jète tremblant.
Jourdain expie ainsi ses crimes,
Ses forfaits d'inhumanité ;
Et poursuivi par ses victimes
Sur Cerqueux son corps est jeté.

La foudre qui partout s'allume
Frappe le côteau consterné.
Ainsi qu'un blanc linceul, l'écume
Dont le flot bondit couronné
Couvre, enveloppe, et manifeste
Les deux cadavres enlacés,
Qui, dans la rivière funeste,
Roulent l'un par l'autre embrassés.

Pourtant la femme toujours bonne
Reprend et sa vie et ses sens.
Aux deux cadavres qu'on lui donne
Elle offre deux cercueils décens.
Cerqueux en a tiré sans doute
Et son origine et son nom.
Saint-Julien, qu'on voit sur la route,
Doit aussi le sien au Breton.

Ainsi, digne d'être citée,
L'honnête femme de Jourdain
De ses devoirs s'est acquittée
Sans répugnance, sans dédain.
Puis sur le dangereux passage
Elle fit élever un pont
Qu'on a toujours gardé l'usage
D'appeler le PONT-AU-BRETON
(Louis du Bois)

pont_au_breton

Vers 1860, après maints reports et supplications, fut construit (ou reconstruit?) un pont sur la Vie au lieu-dit le Pont-au-Breton, remplaçant un gué dangereux et non moins fréquenté.

Ce lieu de passage sur la D273 entre le Mesnil-Oury (anciennement Saint-Martin des Noyés et la Trinité du Mesnil-Oury) et le Mesnil-Durand a acquis une certaine célébrité pour la légende qui s'y attache et, plus récemment, pour les difficultés de franchissement de la rivière qu'y ont connues les libérateurs britanniques du 18 au 20 août 1944.

Source : Recherches archéologiques, historiques, biographiques et littéraires sur la Normandie, de Louis Du Bois, 1843.

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